Au rythme actuel, un Afro-Américain sur trois aura fait de la prison au cours de sa vie. Ils forment, rappelons-le, un peu plus de 12 % de la population américaine.
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Cinq policiers tués, sept blessés. Il est encore tôt pour comprendre les tenants et aboutissants de la tragédie de Dallas, fomentée par un tireur solitaire. Tout comme les événements tragiques impliquant la mort d’Afro-Américains sous les balles des policiers dans les jours précédents.
Mais il y a, en filigrane, un climat délétère teinté par la relation historiquement houleuse entre les autorités et les minorités visibles aux États-Unis. Un passif que rappelait le président Barack Obama avec acuité, jeudi.Cher Led Commerce Achat Pas Rue Du Ruban AR3jL54
Il faut lire The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness, essai percutant de la professeure de droit Michelle Alexander, paru en 2010, pour comprendre le contexte explosif dans lequel s’inscrivent les affaires Alton Sterling ou Philando Castile, mais aussi Michael Brown, Trayvon Martin ou Eric Garner.
«Jim Crow», c’est l’appellation des politiques de ségrégation aux États-Unis, qui ont été abrogées à la suite du mouvement des droits civiques. Le nom vient d’un personnage de ménestrel, burlesque, qui représentait la caricature raciste du Noir du sud profond des États-Unis, dans les années 1830. C’est de ce type de personnage que provient l’opposition au black face, pour tout le bagage symbolique qu’il porte.
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L’abolition des lois Jim Crow, en 1964, devait signer la fin de l’héritage esclavagiste. Mais le racisme a cette extraordinaire capacité de s’adapter. La ségrégation a simplement changé de visage et s’est immiscée dans le système, explique Michelle Alexander, qui s’appuie sur des données aussi nombreuses que troublantes.
Au banc des accusés: la guerre contre la drogue, lancée sous le président Nixon, et qui a culminé sous l’administration Reagan. En moins de 30 ans, ce combat perdu d’avance a sextuplé la population carcérale, qui est passée de 300 000 à 2 millions de prisonniers. Une industrie très lucrative, d’ailleurs, de nombreuses prisons ayant été privatisées.
De nos jours, il y a plus d’Américains en prison pour des crimes liés à la drogue qu’il y avait de prisonniers au total, peu importe la raison, en 1980. Et devinez quoi? La majorité des détenus emprisonnés pour des infractions liées à la drogue sont des Afro-Américains. Ils sont de 20 à 57 fois plus nombreux que les Blancs, note Michelle Alexander. Et souvent, pour simple possession de cannabis.
Plusieurs accusés ayant le réflexe de plaider coupable à des accusations réduites pour mettre fin aux procédures, des États ont imposé des peines minimales. Au rythme actuel, un Afro-Américain sur trois aura fait de la prison au cours de sa vie. Un sur deux dans certaines villes. Ils constituent, rappelons-le, un peu plus de 12 % de la population américaine.
Et la prison devient la meilleure école du crime. Le cercle vicieux se forme: la précarité sociale incite à la criminalité, et la criminalité creuse encore plus la précarité sociale. Les Afro-Américains, au fil des années, sont restés des citoyens de seconde zone.
Autre conséquence qui en découle, le manque de mixité sociale. Les Afro-Américains se retrouvent majoritairement dans les quartiers les plus pauvres et les plus violents, où ils sont virtuellement emmurés, selon la chercheuse. Et les autorités, nerveuses, y répondent en se dotant d’un arsenal quasi militaire.
Mais la finalité sociale est encore plus perverse. Les enquêtes qu’elle cite montrent que les Afro-Américains sont «présumés criminels» par les policiers. Pas étonnant qu’on les arrête pour un feu rouge brûlé.
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Encore moins étonnant que les autorités de Ferguson ne comptaient que 3 % de policiers afro-américains avant la mort de Michael Brown, tandis que les deux tiers de la population était Afro-Américaine.
C’est en raison de cette présomption de criminalité, avance Michelle Alexander, que le système de justice est biaisé. Et les effets sociaux, ajoute-t-elle, sont comparables aux lois Jim Crow, tant la discrimination est systémique.
Une partie de la communauté noire américaine en a même intégré le discours et vit avec ce sentiment d’être coupable. Elle met ainsi à mal l’illusion américaine selon laquelle toute personne peut réussir. Quand les inégalités sont systémiques, il est beaucoup plus dur de gravir les échelons. Il est même difficile de trouver l’échelle.
Le racisme ouvert de l’époque de la ségrégation, conclut-elle, a laissé place à l’indifférence, ce qui est plus insidieux. Rappelons d’ailleurs qu’en avril 2014, la Cour suprême américaine a abrogé des lois de discrimination positive, notamment à l’université, qui cherchaient à sortir les minorités de la précarité sociale.
Justement, dit-elle, la justice criminelle doit tenir compte de cette iniquité sociale dans toutes ses décisions si elle veut un jour rétablir un semblant de paix sociale. Et d’égalité des chances.